Cette liste unique
de citations a
été établie en collaboration avec Philippe
Margot,
auteur du livre Le Vin de la Bouteille au Verre aux
Editions Ketty & Alexandre (en
savoir plus)
Toute
reproduction, même partielle et quel qu'en soit le support, est interdite sans
autorisation préalable écrite des éditeurs du site.
de CHAVAL à COLETTE
[
Anonymes
| Dictons | Proverbes
| Bible Coran Torah | Aphorismes
de Marc Escayrol | de
Abbé Pierre à Basselin | de
Baudelaire à Brillant | de Brillat-Savarin
à Chauvet ]
[
de
Chaval à Colette | de Colombo à
Despentes | de Desproges à Escayrol
| de Escoffier à Goethe | de
Goncourt à Ionesco | de Isfahani à
Leglise ]
[
de Le Gouic à Maugham | de Maupassant
à Onfray | de Orizet à Puisais
| de Queffelec à Saint-Amant |
de
Sainte-Beuve à Thurber | de Tibulle
à Zweig ]
« Quand le pain est mouillé, il faut le boire. »
(Yvan Le Louarn, dit Chaval)
« Amie du vin,
J'ai besoin de toi…
Pour deviner, susurrer
Roucouler et rêver.
Robes de couleur
Framboise, cerise et sang !
Léger, traître ou franc.
Si j'ai la chance
D'entrer dans dans tes châteaux
La vie a du… Beau.
Bien-être et partage,
Rayons de soleil !
Je suis dans les nuages.
Nostalgie…, moments heureux
œil pétillant, ou langoureux,
Je frétille de mille feux…
C'est l'heure bleue ! »
(Anne Chavanon)
« La mort est un petit oiseau qui chaque jour vient se désaltérer
dans ta coupe de vin. »
(Achille Chavée)
« L'épi naissant mûrit de la faux respecté.
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été
Boit les doux présents de l'aurore. »
(André Chénier)
«
Les voilà les monstres à crinière dans le soleil blanc,
comme
des samouraïs qui grognent et soufflent,
féodaux
rusés et armés sous leur cuirasse, leur crin, leur odeur serrée.
Pillards
massifs, sortis du froid ! Il se sont réfugiés à la Côte,
étrange
sauvagerie médiévale dans la finesse
des
vignobles et des collines. »
(Jacques
Chessex)
«
Tu ne pèses pas, vin noir, tu éclaires
Tu
allumes un feu sous l'heure et sous l'ombre
Sous
le soleil tu portes tes rayons dans mon opacité
Tu
parles en visiteur bénéfique dans mon sommeil
Comme
le Maître veut que l'Envoyé murmure
À
l'oreille endormie de ses fils. »
(Jacques
Chessex)
« Aucun animal n'a jamais inventé rien d'aussi navrant que d'être
saoul,
ni rien d'aussi épatant que de boire. »
(Gilbert Keith Chesterton)
« Autrefois les hommes chantaient en chœur autour d'une table ;
maintenant c'est un seul homme qui chante,
pour la raison absurde qu'il chante mieux.
Si la civilisation l'emporte, bientôt un seul homme rira,
parce qu'il rira mieux que les autres. »
(Gilbert Keith Chesterton)
« Si un ange descend du ciel
Et t'apporte d'autres breuvages,
Remercie-le de sa bonté,
Et va les vider dans l'évier. »
(Gilbert Keith Chesterton – La Chanson du Bien et du Mal)
«
Par Noé, père de la vigne,
par
Bacchus, dieu du vin,
par
Saint Vincent, patron des vignerons,
nous
vous armons chevalier du Tastevin ! »
(Formule
d'intronisation des Chevaliers du Tastevin)
« Il faut dire que les gens de cette contrée n’ont pas le vin
mauvais,
parce que le beaujolais c’est un sacré bon vin qui ne fait
jamais mal.
Plus on en boit, plus on trouve sa femme gentille, ses amis fidèles,
l’avenir encourageant et l’humanité supportable.
Tout le malheur vient d’une chose :
il n’y a sur la planète qu’une seule région beaujolaise.
C’est là que se trouvent les élus (qui sont, comme on le
sait, en petit nombre),
tous les gens de bonne trogne, de vaillante humeur et tous de cœur
sur la main
- celle qui ne tient pas le verre. »
(Gabriel Chevallier)
« On ne peut avoir de culture gastronomique sans vin. »
(Julia Child)
«
Château d'Yquem comme dernière surprise,
ce
fût l'apogée, la couronne et le cachet.
Il
m'arriverait d'oublier vos yeux charmants,
mais
ce repas, jamais. »
(Eric
Chilman)
« Comme la tartine, l’ivrogne tombe toujours sur le côté
beurré. »
(Professeur Choron)
Poème régional de Pomerol
« Le vin, c'est la couleur,
C'est la vie, c'est le goût,
Mais c'est aussi ce bouquet
De senteurs exceptionnelles,
Ce rêve qui s'échappe d'un verre,
Pour envahir, par rafales,
Votre nez, votre imaginaire
Et tout votre esprit.
Laissez-vous séduire et entrez
Dans notre monde de douceur... »
(Pierre Choukroun)
« Il y a plus de paroles en un plein pot de vin qu'en un muid de
cervoise. »
(Chrétien de Troyes)
« Ezri, fils de Kélub, surveillait le travail des champs et la
culture du sol ;
Siméi de Rama, les vignes ; Zabdi, de Sépham, les provisions de
vin
dans les vignobles ; Baal-Hanan, de Guéder, les oliviers et les
sycomores
dans la plaine ; Joas, les provisions d'huile… »
(Premier livre des Chroniques 27 : 26-28)
« Je donnerai, pour leur nourriture, à tes serviteurs qui
couperont
et abattront les bois, vingt mille kôr de froment, vingt mille kôr
d'orge,
vingt mille bath de vin et vingt mille bath d'huile. »
(Second livre des Chroniques 2 : 10)
«
En matière de vin, je suis un amateur facile,
je
me contente aisément du meilleur. »
(Sir Winston Churchill, inspiré d’Oscar Wilde)
A propos du champagne :
« Lors de la victoire, je le mérite, mais dans l’adversité,
j’en ai besoin. »
(Sir Winston Churchill)
Attribué tantôt à Napoléon, tantôt à Churchill, cet
aphorisme est en fait de Christian Pol-Roger, propriétaire du champagne éponyme.
« Il en va de l’esprit comme de l’estomac :
on ne peut exiger de lui que ce qu’il peut digérer. »
(Sir Winston Churchill)
« On soigne bien son corps pour que l’âme ait plaisir de
l’habiter. »
(Sir Winston Churchill)
Malgré son amour pour le champagne, il a dit :
« La première qualité d’un grand vin est d’être rouge. »
(Sir Winston Churchill)
« Le secret de ma vitalité ?
Je n'ai dans le sang que des globules rouges :
l'alcool a tué depuis belle lurette tous mes globules blancs...»
(Sir Winston Churchill)
« J'ai retiré plus de choses de l'alcool que l'alcool ne m'en a
retirées. »
(Sir Winston Churchill)
«
L’eau nous a produit, l’huile nous a pénétrés et consolidés,
le
pain nous a nourris, le vin nous a illuminé. »
(Sir
Winston Churchill)
« Après la guerre, deux choix s'offraient à moi :
finir ma vie comme député ou la finir comme alcoolique.
Je remercie Dieu d'avoir si bien guidé mon choix : je ne suis
plus député ! »
(Sir Winston Churchill)
À propos de Churchill :
Lady Nancy Astor, d'origine américaine, et première femme élue
à la Chambre des Communes, interpella un jour Churchill auquel elle
s'opposait :
« Si vous étiez mon mari, j'empoisonnerais votre thé ! »
« Ma chère Nancy, répondit Sir Winston, si vous étiez ma
femme, je le boirais ! »
(Lady Nancy Astor à Sir Winston
Churchill)
« Le champagne stimule mon cerveau sans altérer mon entendement
;
c'est une récompense méritée en cas de victoire
et un réconfort nécessaire en cas de défaite. »
(Sir Winston Churchill)
« Remember gentlemen,
it's not just France we are fighting for,
it's Champagne ! »
(Sir Winston Churchill)
« À cette époque, il nous arrivait de festoyer ici ou là, de
rendre visite ensemble
aux amis vignerons et de finir la soirée en compagnie d’un
Volnay,
d’un Pommard ou d’une bouteille venue d’Espagne ou du Piémont.
Dans mon répertoire d’amis, de copains et de compagnons
ne figurent que des paroissiens ne boudant pas le flacon.
Ce compérage n’est pas dû au hasard,
car j’ai toujours préféré patrouiller avec des
coreligionnaires.
À ma grande tristesse et à celle de tous ceux qui l’ont connu
et aimé,
Bernard Chwartz a quitté définitivement la fête. Dorénavant
nous boirons à son souvenir. »
(La bibliothèque bachique de Bernard Chwartz)
« Les hommes sont comme les vins : avec le temps, les bons
s’améliorent
et les mauvais s’aigrissent. »
(Marcus Tullius Cicero - Cicéron)
« Le sage ne doit pas faire fi des plaisirs :
Qu’il sache aimer la femme et apprécier le vin. »
(Marcus Tullius Cicero – Cicéron)
« Qu'il boive, ou bien alors qu'il parte. »
(Marcus Tullius Cicero - Cicéron)
La mission du Vin.
« Le Vin, et je parle
aussi bien de ce breuvage impersonnel et courant
qui rafraîchit l'honnête
soif du travailleur que de ces crus antiques
dont le blason empanaché
honore l'armorial de nos plus belles provinces,
le vin a une triple
mission, il est le véhicule d'une triple communion.
La communion tout d'abord avec la terre maternelle dont il est
issu,
de qui il reçoit à la fois âme et corps.
En second lieu la communion avec nous-mêmes.
C'est le vin tout doucement qui échauffe, qui dilate,
qui épanouit les éléments de notre personnalité
qui nous ouvre sur l'avenir les perspectives les plus
encourageantes.
Le vin est le professeur du goût et,
en nous formant à la pratique de l’attention intérieure,
il est le libérateur de l’esprit et l’illuminateur de
l’intelligence.
Enfin, le vin est le symbole et le moyen de la communion sociale
;
la table entre tous les convives établit le même niveau,
et la coupe qui y circule nous pénètre, envers nos voisins,
d'indulgence, de compréhension et de sympathie. »
(Paul Claudel)
« Un grand vin n'est pas l'ouvrage d'un seul homme,
il est le résultat d'une constante et raffinée tradition.
Il y a plus de mille années d'histoire dans un vieux flacon. »
(Paul Claudel)
« Messieurs, dans ce court laps de temps qui nous reste après
la crise
et avant la catastrophe, buvons une coupe de champagne. »
(Paul Claudel)
« Ah, si cet homme ne veut pas en cueillir la grappe (...)
Alors il ne fallait pas planter au coin le plus chéri du soleil,
entre les pierres brûlantes, continuant le soleil par maintes
racines profondes
et acharnées, la vigne, fille du déluge et signe mystérieux de
notre salut !
Ah, s’il méprise la grappe, il ne fallait pas planter la
vigne,
et qui méprise le calice, il ne fallait pas planter la joie !
»
(Paul Claudel)
« Les propos du vin sont saveur, âge, cru, chaleur,
force acquise par la fermentation, le temps devenu qualité, une
douceur
transformée en énergie, tout cela fondu ensemble, multiple et
un, naïf et opéré.
Le buveur de vin distingue et unit avec délectation, ou, comme
on dit,
déguste ces différentes espèces et y puise un relèvement de
sa tension vitale,
le sentiment d’une vigueur supérieure à l’obstacle momentané.
»
(Paul Claudel)
« Grâce à Dieu et au président Roosevelt, l’Amérique a
aujourd’hui fait sa paix
avec le bon sens (...). Le vin n’est plus traité en ennemi. Et
en effet,
le vin n’est plus notre ennemi, c’est un conseiller qui veut
jouir en nous
du crédit issu d’une longue carrière de bienfaisance (...).
»
(Paul Claudel)
« Ah, c'est une chose plus enivrante que le vin d'être une
belle jeune femme ! »
(Paul Claudel)
« Le vin est fils du soleil et de la terre. »
(Paul Claudel)
« En matière de vin, il faut savoir faire passer le plaisir
avant le prestige. »
(Paul Claudel)
« De tous les plaisirs, quand il n'en reste plus,
il reste toujours celui de se lever de table après un repas
ennuyeux. »
(Paul Claudel)
« Et les beaux jours de septembre dans cet air si pur
qu'il semble dessiner plus encore les lignes des hautes montagnes
et leur donner comme une sorte de tremblement vivant (…),
les vignes abruptes s'animent :
on y cueille du soleil avant qu'il ne décline.
On y chante. On y rit. On y travaille.
Et les vendanges en ces altitudes sont un peu comme un défit au
temps :
à celui qui passe et dont on s'apprête à tirer de l'or,
à celui qui fait grêler, pleuvoir, neiger, geler
et dont une fois encore, on a réussi à se jouer. »
(Philippe Claudel)
Paul Claudel - Éloge du vin
« Au cours des banquets officiels et repas divers auxquels il
m'a été donné d'assister en Amérique, à l'époque où la prohibition républicaine
y sévissait dans sa rigueur la plus atroce, je ne pouvais m'empêcher de
faire à mes voisins de table, que je voyais méditer tristement devant leur
verre d'eau glacée, l'observation suivante : quelle curieuse idée de vouloir
chauffer un poêle avec des morceaux de glace ! Car l'estomac humain n'est pas
autre chose qu'un poêle, un fourneau où s'achèvent la préparation et la
digestion des aliments. Pour ce travail, il a besoin de chaleur, et pour cette
chaleur, il a besoin de combustible. Et quel meilleur combustible que le vin
avec qui notre économie a contracté depuis si longtemps de si satisfaisantes
habitudes ? Croyez-vous vraiment que l'eau glacée puisse le remplacer dans
son rôle discret et affectueux, et qu'il soit intelligent de placer l'estomac
au moment où vous essayez de le nourrir dans un état de crampe et de
demi-anesthésie, tout voisin de la révolte ?
Je n'avais pas besoin de réponse. Les réclames pour les remèdes
contre la dyspepsie, si fréquentes chez les pharmaciens d'outre-Atlantique,
se chargeaient de me la fournir.
Convié par votre
amicale instance au terme d'un repas excellent à donner expression à vos
sentiments d'appréciation et de gratitude, ce ne sont pas ces douloureux
souvenirs que je voudrais évoquer. Grâce à Dieu et au président Roosevelt,
l'Amérique a aujourd'hui fait sa
paix avec le bon sens. Le temps n'est plus où, sollicité par des fanatiques
de renoncer à cette espèce de droit d'asile que me conférait le rang
d'ambassadeur au milieu d'une terre desséchée, je répondais que je défendrais
mon privilège diplomatique jusqu'à
la dernière goutte de pinard. Aujourd'hui, pas plus en Amérique que dans
aucun des pays qui avaient suivi son déplorable exemple, le vin n'est plus
traité en ennemi. Et en effet, le vin n'est pas notre ennemi, c'est un
conseiller qui veut jouir en nous du crédit issu d'une longue carrière
de bienfaisance. Je n'insiste pas sur les bienfaits d'ordre
physiologique, les études de nos médecins les ont depuis longtemps mis en
lumière, pour la plus grande confusion des calomniateurs, et la seule présence
à la présidence de notre banquet d'un savant aussi distingué que le docteur
Beckers serait pour le produit national une caution suffisante. C'est sur
d'autres point que je voudrais appeler votre attention.
Mon ami Paul Valéry,
que de cruels académiciens ne m'ont pas permis d'appeler mon confrère, déplorait
il y a quelques semaines l'effacement du vocabulaire de ce beau mot de vertu
et se demandait si la réalité qu'il exprime n'était pas elle-même en voie
de décoloration définitive. Eh bien, j'invite le grand poète dont l'enfance
sur les bords de l'étang de Thau a été bercée par le mouvement des
futailles à venir assister à un banquet comme celui-ci, et il se convaincra
que si la vertu a disparu de la terre, elle se retrouve au fond des
bouteilles, et éminemment de ces bouteilles de vins français qui entre tous
se glorifient de justifier l'épithète de généreux. Il y a dans le mot
profond de vertu à la fois une idée de sève, une idée de vaillance et de
force virile, et aussi une idée d'honneur, de pureté et de droiture, une idée
de vérité également, qu'exprime le proverbe connu.
Le vin est le fils du
soleil et de la terre, mais il a eu le travail comme accoucheur. Comme les
grandes œuvres et les grandes pensées, il ne sort pas du pressoir tout prêt
à être englouti par un estomac avide et distrait. Il lui faut la
collaboration de l'art, de la patience, du temps et de l'attention. Il lui
faut un long séjour dans la nuit pour arriver à ce chef-d'œuvre de saveur où
le cerveau trouve autant d'émerveillement que le palais.
La réunion de ce soir est un exemple de cette aimable unanimité,
et c'est pour en remercier les
organisateurs, et en même temps pour souhaiter au restaurant qui pendant
toute la durée de l'exposition va se faire ici le distributeur de toutes les
bonnes choses de France le succès qu'il mérite, que j'élève en votre
honneur, Monsieur le Président, et en l'honneur de toutes les personnes présentes,
ce verre officiel et lyrique. »
Paul Claudel, 2 mai 1935 (XXIX,123-5).
Discours prononcé
le 2 mai 1935, inaugurant la Foire
Internationale de Bruxelles, paru le 5 dans le Figaro : « Louange du Vin »,
repris sous le titre de « Éloge du Vin », Discours à l'Exposition de
Bruxelles, 1935 dans
ACCOMPAGNEMENTS, Gallimard 1949, pages 246-249, et dans O.C. t.XXIX, Proses et
Poésies Diverses, 1986, pages 123-125. L'Ambassadeur prend sa retraite précisément
le 4 juin 1935. Des liens affectifs et professionnels liaient Claudel à la
Belgique depuis 1900.
« Qui a donc inventé de mettre le feu dans nos verres ?
(…) Un dieu, je vous le déclare, et non un homme,
qui a inventé de faire tenir ensemble dans un verre
et la chaleur du soleil, et la rose, et le goût du sang, et la
tentation
de l'eau qui est propre à être bue !
Et qui nous a donné en même temps coupes à boire,
pour libérer notre âme à la fois l'eau qui dissout et le feu
qui dévore. »
(Paul Claudel, La Cantate
à trois voix)
« Pablo avait maintenant dans la bouche ce goût étrange du vin
qui venait longtemps après. Pour bien le faire ressortir, il
fallait avaler, puis,
une fois dans la bouche vide, sucer sa langue un bon moment.
Alors, là, on avait vraiment le goût. Un goût très chaud. »
(Bernard Clavel)
« On n’enlève jamais une toile d’araignée dans une cave,
c’est que ça sert à attraper la vermine qui ferait piquer le
vin. »
(Bernard Clavel)
« Le vin est un lubrifiant social. »
(Jean Clavel)
Cloclo, ou si j’avais un Bordeaux rosé (Claude
François et ses Claudettes)
Aujourd’hui, nous allons écouter Bordeaux rosé, l’une des
dernières chansons de Claude François. C’est en effet l’ultime chanson
qu’il enregistra avec ses Claudettes en mars 1978, quelques jours avant son
électrocution aussi accidentelle que mortelle. Devenant à son corps défendant
une chanson testament, cette interprétation de Bordeaux rosé est saugrenue
de part en part : air reggae inattendu, paroles psychédéliques et chorégraphie
au cordeau.
Lien à la vidéo : http://www.dailymotion.com/video/x261zx_claude-francois-bordeaux-rose_music#from=embediframe
« Du bistro on ne voit pas les siècles passer », lâchait
Jean-Claude Pirotte dans ses mémorables Contes bleus du vin. Soliste, il est
sans conteste notre meilleur interprète. Grand cru classé sans bruit, comme
un secret à ne lâcher qu'aux initiés de grand chemin, il devient au fil de
ses livres notre Nerval, quelquefois ivre et autrement grimé. Sonore à
l'entendre, quelle belle voix ! Chaque phrase sourd de lui et emprunte une
musicalité extrême. Il cavale durablement, écrit pour continuellement se réinventer.
Le voilà, à deux pas, il traverse sa vie un verre de littérature à la
main. »
(Patrick Cloux - Un vin de paille)
« Par cette loi essentielle qui fait qu'on devient ce qu'on est,
ce qu'on aime, ce qu'on boit,
nous ressemblons formidablement aux meilleures années de nos
vins. »
(Patrick Cloux, Le vin de paille)
« La qualité du vin, je la vérifie à la joie. »
(François Cluzet)
« Faites semblant de pleurer,
car les bouteilles font toujours semblant d'être vides. »
(Jean Cocteau)
« Rien n’est plus sérieux que le plaisir... »
(Jean Cocteau)
« Alors que les feux d’artifice s’épanouirent dans le ciel,
le vin coula sur les petits échafauds des bals musette,
et les têtes d’ivrognes roulèrent joyeusement partout. »
(Jean Cocteau)
Jean Cocteau
(1889-1963)
Petite lettre à la dérive
… Mange ta soupe
Tiens-toi droit
Mange lentement
Ne mange pas si vite
Bois en mangeant
Coupe ta viande en petits morceaux
Tu ne fais que tordre et avaler
Ne joue pas avec ton couteau
Ce n'est pas comme ça qu'on tient sa fourchette
On ne chante pas à table
Vide ton assiette
Ne te balance pas sur ta chaise
Finis ton pain, pousse avec ton pain
Mâche
Ne parle pas la bouche pleine
Ne mets pas tes coudes sur la table
Ramasse ta serviette
Ne fais pas de bruit en mangeant
Tu sortiras de table quand on aura fini
Essuie ta bouche avant de m'embrasser
Cette petite liste réveille une foule de souvenirs, ceux de
l'enfance…
C'est très longtemps après qu'on arrive à comprendre
qu'un dîner peut être un véritable chef-d'œuvre. »
(Jean Cocteau)
« Mais le vin était interdit par la loi.
" Le mal, dit l'Alchimiste, ce n'est pas ce qui entre dans
la bouche de l'homme.
Le mal est dans ce qui en sort ". »
(Paulo Coelho)
« L'alcool, l'enfer du délicieux quotidien qui assassine son
homme
en le désintégrant, sans avoir l'air d'y toucher. »
(Jean-Paul Cofsky)
« L'alcool, l'enfer du délicieux quotidien qui assassine son
homme
en le désintégrant, sans avoir l'air d'y toucher. »
(Jean-Paul Cofsky)
Sidonie Gabrielle Colette chez elle en 1945 :
Colette, de son vrai nom Sidonie Gabrielle Colette née à
Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne) le 28 janvier 1873, décède à Paris le 3 août
1954 à l’âge de 81 ans. Grande amatrice de vin, auquel elle est initiée
jeune, elle l’évoque à de nombreuses reprises dans plusieurs de ses
ouvrages, comme dans Prisons et Paradis (1932) :
« J’ai été très bien élevée. Pour preuve première
d’une affirmation aussi catégorique, je dirai que je n’avais pas plus de
trois ans lorsque mon père me donna à boire un plein verre à liqueur d’un
vin mordoré, envoyé de son Midi natal : le Muscat de Frontignan ».
Le lait d'amandes fraîches (Prisons et paradis)
« Pour deux litres d'amandes, il faut plus d'un kg d'amandes fraîches
et saines, épluchées. Pilez dans un mortier de marbre, avec une petite
quantité de sucre. Ajoutez, goutte-à-goutte, l'eau nécessaire à l'émulsion.
Pendant la nuit suivante, le mortier et son contenu, voilés d'un linge,
resteront au frais. Le lendemain, filtrez, dans une poche de baptiste, ou de
mousseline à trame serrée. Goûtez, sucrez encore un peu, ajoutez la quantité
d'eau qui manque encore à vos deux litres.
Ne frappez jamais le lait d'amandes, mais laissez flotter, sur
son onde un peu bleue, crémeuse, une feuille de citronnelle verte, à peine
émergée comme une jonque de Chine. Et n'oubliez-pas non plus —tout est
perdu sans elle ! — la goutte d'essence de rose, une goutte, une seule. »
(Sidonie Gabrielle
Colette)
Le vin d'oranges (Prisons et paradis)
« Il date d'une année où les oranges, du côté d'Hyères,
furent belles et mûries au rouge. Dans quatre litres de vin de Cavalaire,
sec, jaune, je versai un litre d'Armagnac fort honnête, et mes amis de se récrier
: "Quel massacre ! Une eau-de-vie de si bon goût ! La sacrifier à un
ratafia imbuvable !" Au milieu des cris, je coupai, je noyai quatre
oranges coupées en lames, un citron qui pendait le moment d'avant, au bout de
sa branche, un bâton de vanille argenté comme un vieillard, six cents
grammes de sucre de canne. Un bocal ventru, bouché de liège et de linge, se
chargea de la macération, qui dura cinquante jours ; je n'eu plus qu'à
filtrer et mettre en bouteilles.
Si c'est bon ? Rentrez seulement chez vous, parisiennes, à la
fin d'un dur après-midi d'hiver ou de faux printemps, cinglé de pluie, de grêle,
fouetté de soleil pointu, frissonnez des épaules, mouchez-vous, tâtez votre
front, mirez votre langue, enfin geignez : "Je ne sais pas ce que
j'ai."
Je le sais, moi. Vous avez besoin d'un petit verre de vin
d'oranges.
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Le poulet à la cendre demande qu'on l'englue, emplumé, dans
l'argile lisse, la glaise des sculpteurs. Il ne faut que le vider avec soin,
le poivrer et le saler intérieurement. Sa graisse, prisonnière suffit à
tout. La boule d'argile et son noyau gallinacé subissent une crémation assez
longue au sein d'une cendre épaisse, de toutes parts entourés de braises
qu'on attise, qu'on renouvelle. La motte d'argile, au bout de trois quarts
d'heure, est un gros œuf de terre cuite. Brisez-le : toutes les pennes, une
parie de la peau, restent attachées aux tessons, et la perfection sauvage du
tendre poulet vous incline vers une gourmandise un peu brutale et préhistorique.
»
(Sidonie Gabrielle Colette)
Les truffes façon
Colette (Paysages et portraits)
« Tout
est mystère, magie, sortilège, tout ce qui s'accomplit entre le moment de
poser sur le feu la cocotte, le coquemar, la marmite et leur contenu, et le
moment plein de douce anxiété, de voluptueux espoir, où vous décoiffez sur
la table le plat fumant. [...]
On
ne fait bien que ce qu'on aime. Ni la science, ni la conscience ne modèlent
un grand cuisinier. De quoi sert l'application où il faut l'inspiration ? Je
suis née dans un pays de province où l'on gardait encore, comme le secret
d'un parfum ou d'un onguent miraculeux, des recettes que je ne trouve dans
aucun codex culinaire. On les transmettait de bouche à oreille, l'occasion
d'une fête carillonnée, le jour du baptême d'un premier-né, d'une
"confirmation". Elles échappaient, pendant le long festin de noces,
à des lèvres desserrées par le vieux vin : ainsi ma mère reçut en
confidence la manière de préparer certaine "boule" de poulet,
projectile ovoïde cousu dans une peau de poule désossée. Comment recomposer
maintenant le secret de cette "boule" débitée, sur la table, en
larges tranches rondes où brillaient l'œil noir de la truffe, la verte fève
de la pistache ?
Du
moins j'appris - dans une Puisaye truffière dont le sol nourrit une truffe
grise, de bonne odeur et de goût nul - à me servir de la vraie truffe, la
noire, la périgourdine. C'est la plus capricieuse, la plus révérée des
princesses noires. On la paie son poids d'or, le plus souvent pour en faire un
piètre usage. On l'englue de foie gras, on l'inhume dans une volaille
surchargée de graisse ; on la submerge, hachée, de sauce brune, on la marie
à des légumes masqués de mayonnaise...
Foin des lamelles, des
hachis, des rognures, des pelures de la truffe ! Ne saurait-on l'aimer pour
elle-même ? Si vous l'aimez, payez sa rançon royalement. Sinon, écartez-vous
d'elle. Mais, l'ayant achetée, mangez-la seule, embaumée, grenue, mangez-la
comme un légume qu'elle est, chaude, servie en fastueuses portions. Elle ne
vous donnera pas, une fois étrillée, grand'peine ; sa souveraine saveur dédaigne
les complications et les complicités. Baignée de bon vin blanc très sec
—gardez le champagne pour les banquets, la truffe se passe bien de lui —
salée sans excès, poivrée avec tact, elle cuira dans la cocotte noire,
couverte. Pendant vingt-cinq minutes, elle dansera dans l'ébullition
constante, entraînant dans les remous et l'écume... une vingtaine de
lardons, mi-gras, mi-maigres, qui étoffent la cuisson. Point d'autres épices
! Vos truffes viendront à table dans le court-bouillon.
Servez-vous sans
parcimonie ; la truffe est apéritive, digestive. Croquez la gemme des terres
pauvres en imaginant, si vous ne l'avez pas visité, son désolé royaume. Car
elle tue l'églantier, anémie le chêne, et mûrit sous une rocaille ingrate.
Imaginez l'hiver périgourdin sévère, la rude gelée qui blanchit l'herbe,
le cochon rose dressé à une prospection délicate...»
«
Ne mangez pas la truffe sans boire.
À
défaut d'un grand ancêtre bourguignon au sang généreux,
ayez
quelque Mercurey festif et velouté tout ensemble.
Et
buvez peu, s'il vous plaît. On dit dans mon pays natal,
que
pendant un bon repas, on n'a pas soif, mais bien faim de boire. »
(Sidonie
Gabrielle Colette, "Prisons et paradis)
Le café au lait de "Chéri" (Marie-Claire, 1939)
Un certain "café au lait de concierge" dont il est
question dans "Chéri" a éveillé bien des curiosités que j'ai
laissées - c'est le mot - sur leur faim. Une concierge me donna autrefois la
recette d'un petit-déjeuner propre à chasser le frisson des matins d'hiver.
Ayez une petite soupière - la petite soupière individuelle pour
soupes gratinées, ou un gros bol, en porcelaine à feu. Versez-y le café au
lait, sucré et dosé à votre goût. Préparez de belles tranches de pain de
ménage, le pain anglais ne convient pas - beurrez-les confortablement et
posez-les sur le café au lait qui ne doit pas les submerger. Il ne vous reste
qu'à mettre le tout au four, d'où vous ne retirerez votre petit-déjeuner
que bruni, croustillant, crevant çà et là en grosses bulles onctueuses.
Avant de rompre votre cadeau de pain recuit, jetez-y une poussière
de sel. Le sel mordant le sucre, le sucre très légèrement salé, encore un
grand principe que négligent nombre d'entremets et pâtisseries parisiennes,
qui s'affadit, faute d'une pincée de sel. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« À l'Auberge du Dom pour y manger du poisson "au coup de
pied"
dont la saveur se souvient de la mer et des baumes sylvestres. La
nuit résineuse descend, qui emplit votre verre…
Marquez, d'une libation reconnaissante, cet instant heureux. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« La vigne, le vin sont de grands mystères. Seule dans le règne
végétal,
la vigne nous rend intelligible ce qu’est la véritable saveur
de la terre.
Quelle fidélité dans la traduction.
Quelle journée sans nuage, quelle douce pluie tardive décident
qu'une année de vin
sera grande entre les années ?
La sollicitude humaine n'y peut presque rien, là tout est
sorcellerie céleste,
passage de planète, tache solaire. »
Elle ressent, exprimée par la grappe, les secrets du sol.
Le silex, par elle, nous fait connaître qu'il est vivant,
fusible, nourricier.
La craie ingrate pleure, en vin, des larmes d'or... »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Je me vante d'avoir grandi, mûri, vieilli dans la familiarité
du vin ;
à le tutoyer dès l'enfance, on perd l'esprit d'intempérance et
de gloutonnerie ;
on acquiert, on forme son goût personnel. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Je suis entrée dans le monde du vin sans autre formation
professionnelle
qu'une gourmandise certaine des bonnes bouteilles. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Il est bon de traiter l’amitié comme les vins et de se méfier
des mélanges. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Je fis, adolescente, la rencontre d’un prince enflammé, impétueux,
traître comme tous les grands séducteurs : le Jurançon. Ces six flacons me
donnèrent
la curiosité de leur pays d’origine plus que n’eût fait un
professeur. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Vendanges, joie précipitée, urgence de mener au pressoir, en
un seul jour,
raisin mûr et verjus ensemble, rythme qui laisse loin la cadence
rêveuse
des moissons, plaisir plus rouge que les autres plaisirs, chants,
criailleries enivrées - puis silence, retraite, sommeil du vin
neuf cloîtré,
devenu intangible, retiré des mains tachées qui,
miséricordieusement le violentèrent. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« La cour couverte, éclairée de phares, résonnait de voix, de
roues,
de pas lourd chaussés, car les quarante vendangeurs du domaine
descendaient à leur repas, escortés de leur gaillarde et
vineuse odeur.
J’aurais bien voulu les suivre (...). À tout labeur, tout
honneur :
en bas, quarante vendangeurs avaient la meilleure table,
servie d’omelettes, de veau, de poules, de cochon et arrosée
de ce vin, qui,
comme les plus beaux rubis, garde claire aux lumières,
sa sanguine et franche couleur. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Nous descendons dans le souterrain royaume. Une très légère
buée bleue
– on a soufré les tonneaux – épaissit l'air,
sous les voûtes étoilées d'ampoules électriques. À perte de
vue
et pareilles aux perspectives sans issues qu’inventent les
songes,
les parois sont de barriques et encore de barriques.
Si, du doigt plié, nous les interrogeons en passant,
toutes chantent qu’elles sont strictement closes et pleines de
vin bourguignon (...)
Au profond de la terre, dans la cave aux bouteilles,
reposent les fruits de tant de soins : flacons jeunes, lisses,
fioles millésimées ;
aînées chenues, habillées lentement d’une fourrure
impalpable,
grise et blanche comme le duvet qui frémit sur le corps des
bombyx nocturnes C'est plaisir que s'instruire sous les voûtes où la voix
s'assourdit,
où les pas crissent à peine sur un gravier trié. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Prisons et paradis”)
« La bouteille bordelaise est venue sans dommage jusqu’ici,
portant sur son petit ventre sa date anniversaire : 1873, la même
que la mienne,
et sa poussière précieuse. On l’a tenue couchée, comme moi,
jusqu’au dîner
du 28 janvier et, ma foi, comme à moi, il lui restait quelque
feu,
une couleur atténuée, une bonne odeur de violette,
et le vin de Mouton qu’elle m’apportait reposait doucement
sur sa lie,
d’où nous l’éveillâmes, pleins de gratitude et de précaution.
»
(Sidonie Gabrielle Colette)
«
J'ai été très bien élevée. Pour preuve première d'une affirmation aussi
catégorique, je dirai que je n'avais pas plus de trois ans lorsque mon père,
partisan des méthodes progressives, me donna à boire un plein verre à
liqueur d'un vin mordoré envoyé de son pays natal : le muscat de Frontignan.
Coup de soleil, choc voluptueux, illumination des papilles neuves ! Ce sacre
me rendit à jamais digne du vin. Un peu plus tard, j'appris à vider mon
gobelet de vin chaud, aromatisé de cannelle et de citron, en dînant de châtaignes
bouillies. À l'âge où l'on lit à peine, j'épelai, goutte à goutte, des
bordeaux rouges anciens et légers, d'éblouissants Yquem. Le champagne passa
à son tour, murmure d'écume, perles d'air bondissantes ; à travers des
banquets d'anniversaires et de première communion, il arrosa les truffes
grises de la Puisaye… Bonnes études, d'où je me haussais à l'usage
familier et discret du vin, non point avalé goulûment, mais mesuré dans des
verres étroits à gorgées espacées, réfléchies.
C'est
entre la onzième et la quinzième année que se parfit un si beau programme
éducatif. Ma mère craignait qu'en grandissant, je ne prisse les "pâles
couleurs". Une à une, elle déterra, de leur sable sec, des bouteilles
qui vieillissaient sous notre maison, dans une cave – elle est Dieu merci
intacte – minée à même un bon granit. J'envie, quand j'y pense, la gamine
privilégiée que je fus. Pour accommoder au retour de l'école les encas
modestes (…), j'eu des Château-Larose, des Château-Lafite, des Chambertin
et des Corton qui avaient échappé en 70, aux "Prussiens". Certains
vins défaillaient, pâlis et parfumés encore comme la rose morte ; ils
reposaient sur une lie de tannin qui teignait la bouteille, mais la plupart
gardaient leur ardeur distinguée, leur vertu roborative. Le bon temps !
J'ai
tari le plus fin de la cave paternelle, godet à godet, délicatement… Ma mère
rebouchait la bouteille entamée, et contemplait sur mes joues la gloire du
vin français. »
(Sidonie
Gabrielle Colette)
« Les grandes portes rabattues, le Cru semblait retiré à même
une grotte et,
de son haut plafond, il me jeta ensemble une chope glacée
d’air immobile,
la divine et boueuse odeur des raisins foulés
et le bourdonnement de leur ébullition.
Cent mètres de voûtes s’étiolaient de lampes, les cuves
rejetaient
par-dessus leurs bords les baves roses en longs festons :
l’âme du vin nouveau, lourde, à peine née, impure… »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Vendanges, joies précipitées, urgence de mener au pressoir,
en un seul jour, raisins mûrs et verjus ensemble.
Rythme qui laisse loin la cadence des moissons.
Plaisir plus rouge que les autres plaisirs.
« Chants, criailleries enivrées, puis silence, retraite du vin,
sommeil du vin neuf,
cloîtré, devenu intangible, retiré des mains tachées
qui miséricordieusement le violentèrent.»
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Le rythme du labeur se plie à la convenance du vin
qui n’est ni hâte, ni brutalité. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Au profond de la terre, dans la cave aux bouteilles,
reposent les fruits de tant de soins : flacons jeunes, lisses,
fioles millésimées,
aînées chenues, habillées lentement d'une fourrure impalpable,
grise et blanche comme le duvet qui frémit sur le corps
des bombyx nocturnes. Le maître de céans décoiffe l'une de
celle-ci :
c'est l'instant de se taire, de lever vers la voûte un verre
pansu,
à l'issue resserrée ; l'œil d'abord, le nez ensuite, la bouche
enfin…
Béni soit ce…
« Au fait, comment l'appelez-vous ce velours, cette flamme, ce
suc parfait
dans toutes ses proportions, plein d'arrière-pensées ?
Un nom, sous les voûtes, roule et propage les « r »
bourguignons
qui depuis un demi-siècle me sont restés dans la gorge. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Si vous n'êtes pas capables d'un peu de sorcellerie,
ce n'est pas la peine de vous mêler de cuisine... »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« N'éloignez pas les novices de la connaissance et du plaisir
du vin
par l'usage d'un vocabulaire réservé aux seuls initiés :
parlez simplement de vos vins. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« L'eau, c'est pour la soif. Le vin, c'est selon sa qualité et
son terroir,
un tonique nécessaire, un luxe, l'honneur des mets. »
(Sidonie Gabrielle Colette, "Prisons et Paradis”)
« Négliger pendant les repas l'eau claire qui ”fait
grenouille”
et oseille en poche lourde dans l'estomac.
Heureux les enfants qui ne s'enflent pas l'estomac
à grands coups d'eau rougie, pendant les repas !
Bien avisés les parents qui dispensent à leur progéniture
le doigt de vin pur. »
(Sidonie Gabrielle Colette, "Prisons et Paradis”)
« Mon enfance ne se souvient d'aucune vendange.
Ma Bourgogne n'a point de vignes, je l'avoue pour respecter la vérité.
Du côté de Treigny, un vin léger, d'une jolie couleur de rubis
un peu mauve,
ne résista pas au phylloxéra. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Est-ce grâce au vin à six sous le litre que se forment une révérence,
une compétence ?
Non. C'est toujours l'amour qui décide de tout (…).
Chacun de mes sens empanache de rurale poésie,
secouru par le lyrisme du vin,
travaillait à faire d'un enfant de la Puisaye,
la très sortable Bourguignonne que je suis restée (…).
Je bus du vin tous les jours, très peu à très peu,
savourant la gorgée au passage. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”En pays connu”)
« Ma mère craignait que sa fille ne prisse en grandissant les pâles
couleurs.
Elle rebouchait la bouteille entamée,
et contemplait sur mes joues
la gloire des crus français. »
(Sidonie Gabrielle Colette, "Prisons et Paradis”)
« Quelle journée sans nuage, quelle douce pluie tardive décident
qu'une année de vin sera grande entre les années ?
La sollicitude humaine n'y peut presque rien, là tout est
sorcellerie céleste,
passage de planète, tache solaire. »
(Sidonie Gabrielle Colette, "Prisons et Paradis”)
« Tout ce que ce beau mot de vendanges semble promettre
et rappeler de liberté assez licencieuse, de chants et de
danses,
de propos lestes et de gourmandise… Ne dit-on pas
traditionnellement :
la fête des vendanges ? »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Paysages et portraits”)
« Le raisin tarde à mûrir. Il mûrira pourtant,
grâce à ces journées de septembre
dont rien n'est perdu pour la vigne, où la force du soleil est
nette,
lavée de nuages, de son lever à son coucher. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”De ma fenêtre”)
« Mon petit Pierre, grande émotion dans la maison !
Il est arrivé deux fûts de vin !
Que c'est agréable, ce trouble causé par une substance aussi
vivante
que le vin ! Et maintenant, comme dit Pauline (la cuisinière de
Colette),
la cave sent le vin ! »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Lettre à Marguerite Moreno”)
« L'automne chasse devant ses pas une profusion de fruits
modestes
que l'on ne cueille pas, mais qui tombent dans la main,
qui attendent avec patience au pied de l'arbre
que l'homme daigne les ramasser. Celui-ci n'a d'yeux et de soins
que pour son dernier regain et sa vendange. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« J'imaginais la récolte lente, les paniers pleins, la soif qui
croit se satisfaire
en mordant la grappe, et qui s'attise (…), les vendangeurs du
domaine
descendaient à leur repas, escortés de leur gaillarde et
vineuse odeur. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Ma Marguerite, aujourd'hui je vendange. Le temps, la lumière,
le climat…
Si Maurice n'était pas dans ma vie, je te jure que je ne
reviendrais pas (…)
Le raisin est par place incomparable (…) Tout sera fini ce
soir,
et je crois bien que le vin sera bon. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Lettre à Marguerite Moreno”)
« Les orages commencent ce soir. Mais ma vendange est faite,
1'500 litres environ, et qui promettent d'être suaves. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Lettre à Marguerite Moreno”)
« J'abordais le Vin au secret d'une de ses chambres intimes
(…)
Les grandes portes rabattues, le Cru semblait retiré à même
une grotte,
et de son haut plafond, il me jeta ensemble une choppe glacée
d'air immobile, la divine et boueuse odeur des raisins foulés,
et le bourdonnement de leur ébullition. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Le Fanal bleu”)
«Une page difficile, une fin de roman se trouvent bien
d'un repas un peu chaud en épice, d'un verre exceptionnellement
rempli. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”L'Étoile Vesper”)
« Je m'arrêtais encore à ses attraits extérieurs :
l'œil luisant, la chaude couleur du teint,
un teint de pomme d'hiver, la carnation de l'homme
qui aime vivre en plein air et boire du vin (…),
un nouvel ami d'un cru rare, tout raisin et tout bouquet. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”En Pays connu”)
« Partout on travaille, mais le rythme du labeur
se plie à la convenance du vin
qui n'aime ni la hâte, ni la brutalité.
Autour de nous règnent des sons amortis,
le calme et ce luxe suprême, bientôt inaccessible à notre
existence :
la lenteur réfléchie, la mesure.
Au-dehors, la bise elle-même galope, la route se couvre
d'automobiles,
le téléphone grelotte sans trêve.
Mais au chevet du vin cloîtré, le temps s'endort,
et peut-être que nous cessons un moment de vieillir ?
Gestes arrondis, ralentis, immémoriaux,
dépendant de la sphère et de la circonférence,
modelés par la giration planétaire. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Prisons et paradis”)
« Je m'endormais, parfaitement ivre, la tête sur une table,
bercée par un tumulte bienveillant. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”La maison de Claudine”)
« L'ardeur musquée et traîtresse du vin d'Asti
se propage en chaleur naissante
à l'ourlet de mes oreilles, en soif renaissante de ma gorge.
Je tends mon verre et je bois plus lentement,
les yeux mi-fermés de délice. (…)
Pour moi qui ne bois jamais que de l'eau à la maison,
je constate des phénomènes inouïs :
un treillis léger et vaporeux monte de la table,
nimbe les lustres, recule les objets et les rapproche tour à
tour. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Claudine à Paris”)
« Dédoublée, je me mirais dans mon ivresse, j'y voyais mes
joues chaudes,
ma bouche rouge, mes cheveux en boucle qu'amollissait la chaleur,
et je sentais mes prunelles si larges et si jaunes,
que leur lumière me chauffait les paupières… »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”La retraite sentimentale”)
« D'une foi mal éclairée, confessée par des bouches, hélas,
que blindèrent cocktails, apéritifs vénéneux, foudroyants
alcools,
la sapience renaîtra-t-elle ? Souhaitons-le. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Prisons et paradis”)
« Léa finissait une carrière de courtisane bien rentée (…),
elle atteignait l'âge de s'accorder quelques petites douceurs.
Elle aimait l'ordre, le beau linge,
les vins mûris, la cuisine réfléchie. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Chéri”)
« Léa darda autour d'elle d'un œil assuré, qu'on ne trompait
presque jamais,
et déjeuna dans une solitude joyeuse, souriant au Vouvray sec
et aux fraises de juin
servies avec leurs queues sur un plat de Rubelles,
vert comme une rainette mouillée. »
« Son dîner de poisson fin et de pâtisseries fut une récréation.
Elle remplaça le bordeaux par un champagne sec
et fredonna en quittant la table. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Chéri”)
À propos du champagne Pommery :
« Murmure d'écume, perles d'air bondissantes,
à travers les banquets d'anniversaires
et de première communion. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Chéri”)
« Une vendange les gorge, la vendange suivante les trouve vides,
et les remplit à son tour. Ne dédaignez pas, détenteurs de
fines bouteilles,
ces vins à courtes échéances : c'est clair, sec, varié,
cela coule aisé du gosier aux reins et ne s'y arrête guère.
Encore qu'il soit de tempérament chaud, nous ne regardons pas, là-bas,
si la journée est torride, à une grande pinte de ce vin-là,
qui délasse
et laisse derrière lui un double goût de muscat et de bois de cèdre.
»
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Prisons et paradis”)
À
propos d'une bouteille de Château Mouton Rothschild 1873, date de naissance
de
Colette qui lui fut servie pour ses 75 ans :
« On l'a tenue couchée,
comme moi, jusqu'au dîner du 28 janvier, et ma foi,
comme à moi, il lui
restait quelque feu, une couleur atténuée,
une bonne odeur de
violettes, et le vin de Mouton
qu'elle m'apportait
doucement sur sa lie,
d'où nous l'éveillâmes,
plein de gratitude et de précaution. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Le Fanal bleu”)
À
propos de la Bourgogne :
« D'accès facile au bout d'une voie ferrée,
Paris me semblait plus proche, plus intelligible que la Côte-d'Or
inconnue.
Celle-ci me ménageait un grand et tardif coup de foudre. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”En pays connu”)
« Nous faisons visite, aujourd'hui, à la dissidente qui
affronte le Cru,
à la Firme qui vend du vin bourguignon : ”Analysez-moi, goûtez-moi,
dit-elle.
Mes vins charrient l'or et le rubis classiques ; ils sont purs de
mésalliant (…).
J'amasse des vins qui sont originaires des vignobles de
Bourgogne.
Je groupe fidèles et épars, des cadets généreux que le Cru,
lorsqu'il ne les réquisitionne pas, traite de bâtards sans
honneur (…).
On trouvera que je traduis, que je résume
en des termes tant soit peu lyriques.
Mais comment parler froidement, quand il s'agit d'une gloire
nationale,
du vin de Bourgogne ? »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Prisons et paradis”)
« Je puis vous parler aussi de la vieille daube provençale,
où s'incorporent l'un à l'autre,
les gros dés de bœuf, l'ail, le lard fin, l'huile qui fait la
partie obscure
de la sauce, le vin qui en fait la partie brillante, l'arôme
personnel. »
(Sidonie Gabrielle Colette, ”Paysages et portraits”)
« Si je dois poursuivre le plaidoyer que j'entreprends pour la
vraie cuisine,
simple, ancienne, réfléchie, j'aurais sujet de dire, sauf de
rares exceptions,
elle écarte de tout ce qu'elle élabore, la brutalité de
l'alcool :
que la tarte à l'abricot, arrosée d'eau-de-vie est œuvre du démon,
que le bœuf-mode dont l'arrière-goût révèle
l'adjonction de marc de Bourgogne est une hérésie. »
(Sidonie Gabrielle
Colette, ”Paysages et portraits”)
Photo René Dazy.
« Le vin est issu de la terre dont il est la traduction,
il est l'assemblage des qualités du sol liées au hasard
et au bienfait du climat. »
« C'est le résultat du travail de l'homme :
dur labeur des vendanges et gestes ancestraux vont engendrer une
divinité
à qui l'on doit le respect et qui nécessite une cérémonie
d'intronisation. »
« Le vin n'a rien d'un monolithe, c'est la diversité même,
diversité due aux cépages, aux terroirs, à son âge.
Jeune ou vieux, il invite à des plaisirs différents. »
« Le vin apporte la gaieté et la santé. C'est ce que confirme
la médecine
qui préconise un à deux verres par jour, plus bénéfiques que
l'abstinence.
Alors pourquoi s'en priver ? »
« Le vin sollicite en nous plusieurs sens : la vue, l'odorat, le
goût.
Il nous permet de les exercer, de les affiner
par l'effet de la succession des dégustations,
mettant en jeu également notre mémoire olfactive.
Par les émotions qu'il procure, sa flaveur inoubliable,
son étiquette prestigieuse et rare,
ou tout simplement par l'instant mémorable qu'il accompagne,
il inscrit en nous des impressions colorées,
odorantes, aromatiques et gustatives. »
« Enfin, le vin est partie prenante d'un ”art de vivre
gourmand”
qui sait apprécier les ressources de la nature. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Le champagne ne se boit pas, il se déguste.
Il ne faut pas l'avaler goulûment.
On doit le déguster avec mesure dans des verres étroits,
à gorgées espacées et réfléchies. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
«
Cette petite demoiselle va se réchauffer avec un doigt de vin chaud !
Un
doigt ? Le verre tendu, si le cafetier relevait trop tôt le pichet à bec,
je
savais commander : « Bord à bord ! » et ajouter :
«
À la vôtre ! », trinquer, lever le coude, et taper sur la table
le
fond de mon verre vide, et torcher d'un revers de main mes moustaches
de
petit bourgogne sucré, et dire, en poussant mon verre du côté du pichet :
«
Ça fait du bien par où ça passe ! »
Je
connaissais les bonnes manières.
Ma
courtoisie rurale déridait les buveurs… »
(Sidonie
Gabrielle Colette)
«
Vin jeunet, tâté dans le jour bleu du chai, - "fillette" angevine
décoiffée
sous une tonnelle poudrée à blanc
par
un après-midi d'été bien orageux,
reliquats
émouvants découverts dans un vieux cellier
qui
ignore ses richesses ou les oublie… »
(Sidonie
Gabrielle Colette)
38° 5
Samedi. Ça y est. Je l'ai. Dieux ! J'avais oublié combien le
lit, tout toile fraîche et boule chaude, ressemble, avant dix heures du soir,
à un délice pervers... S'il n'y avait pas cet invisible chapeau trop serré,
cette mâchoire invisible qui avertit les reins à chaque mouvement, cette
faiblesse dans les poignets, et surtout, quand on respire, ce vide ardent dans
les poumons, ce courant d'air de forum où le sirocco tournoie, il serait doux
de dîner au lit... Dîner ? Qui a parlé de dîner ? Pouah !... je viens de
perdre, en deux heures de malaise, l'habitude, le dessein, l'envie et le
besoin de manger. Tant mieux. Il n'est plus en mon cœur que citrons, gobelets
purs, thé de pétales. Quel bonheur ! Mon embonpoint se détache de moi,
effeuillé, par livres... Patience, c'est une image de l'avenir, du proche
avenir. Jetez-moi, tintante et ronde dans ce verre de limonade, une obole
d'aspirine... Merci. Lundi. Mauvais, mauvais. Tout est mauvais. L'orange est
amère. Amère la tisane sucrée. Amers les bonbons adoucissants. Qui m'a
apporté ces bonbons des Borgia, vert poison, dont chacun cache un piège
glacial de menthol ? Tout ce qui s'absorbe par la bouche est néfaste, et
d'ailleurs désuet, révolu comme la coutume des repas... Une voix dans ma
chambre : "C'est aujourd'hui qu'elle devait envoyer à Vogue la recette
de la poitrine de bœuf à la Languedocienne..." La nausée et le
courroux arment mon bras défaillant ; ramassant une orange errante sur le
tapis, je la lance dans la direction des barbares qui parlent de bœuf, de
langue, d'oc et de poitrine... Un cri de douleur répond à mon geste. C'est
celui d'une tasse bleue, à laquelle je tenais beaucoup. Mercredi. Une voix
dans ma chambre, au téléphone : "Oh ! non, pas mieux, au contraire...
Non, elle ne prend rien. Le docteur a dit... Oui, avant-hier elle avait même
un peu de délire, elle jetait des oranges en l'air... C'était affreux... Oh
! non, elle ne pourra pas envoyer son article culinaire à Vogue... Elle
regrettera beaucoup... Merci, Monsieur. "Je regretterai beaucoup ? Ces
propos me font sourire de pitié. Mon article culinaire ? Et quel besoin a
Vogue d'articles culinaires, de grasses recettes, de secrets anciens chuchotés
par le bec du coquemar dans la noire oreille du fait-tout ? Vogue, ses
adipeuses rédactrices et ses mannequins accablés de chair ? Assez, assez de
nourriture ! Tout ça va maigrir, il n'est que temps. Je donne l'exemple.
Qu'elles fassent comme moi, qui, depuis samedi... Comment, ça ne fait que
cinq jours ? Reversez-moi de la limonade tiède, s'il vous plaît. Rien ne
convient mieux à mes 38 kilos, 5 - je veux dire à mes 38,5 au thermomètre.
Nous ne sommes pas au bout : je veux étonner le monde, à l'aube de ma quatrième
jeunesse - quatrième ou troisième ? Cinquième ? Non, troisième... Les
chiffres, vous savez... Sous la porte fermée, un ruban d'odeur plate, chaste
et âgée de quatorze à quinze ans, s'insinue dans ma chambre : l'odeur de la
marmelade de pommes. Fi, quel mortier ! Il y a, pour un corps qui tantôt se désincarne,
d'autres soutiens... Vendredi. Fièvre toujours. Rêves charmants, mais mystérieusement
gâtés par un ferment indiscernable, une brillante couleur de fruit véreux.
Rêve de pomme en coton teint, de feuillage tendre qui bruit avec un son de
palmes sèches. Des sollicitudes, à mon réveil, s'égarent : "Peut-être
prendriez-vous une tasse de bouillon de légumes ? "Pourquoi pas une
salade de hareng, aussi ? je souris, faiblement, mais c'est de mépris. On
sonne. "Ce n'est rien, Madame, c'est Vogue, qui envoyait voir si...
"Ah ! oui, Vogue, obsession, Vogue et sa poitrine de mouton, de bœuf, de
mastodonte, ses gigots de plésiosaure, ses dinothériums farcis... Mais ils
ne pensent donc qu'à ça ? Dans mes souvenirs, brumeux, tamisés et rythmés
par la timbale de mes 38,5, il me semblait que Vogue s'occupait d'élégances...
L'appétit pantagruélique de Vogue a besoin d'une leçon ma chère,
voulez-vous prendre ce que je vais dicter :
« Dans toutes les familles qui se respectent, la poitrine de bœuf
farcie…
Dans toutes les familles qui se respectent, la poitrine de bœuf
farcie est remplacée par le lait d'amandes fraîches. Pour deux
litres de lait d'amandes, il faut plus d'un kilo d'amandes fraîches et
saines, épluchées. Pilez dans un mortier de marbre, avec une petite quantité
de sucre. Ajoutez, goutte-à-goutte, l'eau nécessaire à l'émulsion. Pendant
la nuit suivante, le mortier et son contenu, voilés d'un linge, resteront au
frais. Le lendemain, filtrez dans une poche de batiste, ou de mousseline à
trame serrée. Goûtez, sucrez encore un peu, ajouter la quantité d'eau qui
manque à vos deux litres. Si vous servez promptement vous pouvez remplacer
l'eau par du lait fraîchement trait. Ne frappez jamais le lait d'amandes,
mais laissez flotter, sur son onde un peu bleue, crémeuse, une feuille de
citronnelle, verte, à peine immergée, effilée comme une jonque de Chine...
Et n'oubliez pas, non plus - tout est perdu sans elle ! - la goutte d'essence
de roses, une goutte, une seule..." ... Encore manquera-t-il, à ma
recette, ce qui rend le lait d'amandes plus doux à l'âme, et aux lèvres :
un ciel d'un bleu cendré, percé d'étoiles larges, embrumées par la végétale
humidité d'un printemps marocain ; - un ciel rectangulaire, prisonnier entre
quatre murs de faïences vernissées et de bois de cèdre ; - des feuillages
noirs sur la nuit, une musique d'instruments maigres et de longues voix étirées
; - de belles mains de négresses qui soutiennent une jatte d'oranges ; - un
musculeux bras nu d'un brun de palissandre poli, qui brandit l'aiguière
d'argent et verse dans le gobelet un fil laiteux qui tremble ; - l'odeur du
copeau de santal qu'un brasero consume ; - des jasmins jaunes à fleurs épaisses,
dont le parfum se traîne à ras de terre ; - une danseuse chleuh d'un blanc
de cire, accablée d'étoffes, voilée toute sauf un visage dont les yeux ne
regardent pas la terre, et deux pieds crispés, sans joyaux, nus au centre
d'une rose de mosaïque, une danseuse qui n'avance ni ne recule, qui se hausse
un peu, grandit et retombe sur elle-même comme un jet d'eau... Nous
regardions curieusement son petit visage de tiercelet, froid, féroce. Mais
les pieds nus étaient tels que les hommes d'Occident n'avaient d'yeux que
pour les doigts libres et leur blancheur, les ongles enchâssés de chair
intacte, les talons teints de rouge qui baisaient - leur reflet dans la mosaïque...
Trop épris de ces pieds frémissants, plus nus, plus blancs qu'un sein et
comme lui préservés du soleil, mes compagnons d'Occident se détournaient
d'eux, puis revenaient à eux...
La vigne, il est difficile de la garder en vie. Les riches ne
doivent pas être les seuls à faire ça. Les pauvres aussi en ont le droit.
»
Lundi. Détente, fatigue agréable entre toutes les fatigues...
Oisiveté étrange, vacance d'un corps que la fièvre quitte... Où est allée
cette grande activité de bourdonnements, de coups sourds, de marteaux entourés
de feutre, de cristallines enclumes lointaines ? je ne suis plus qu'une équipe
qui s'est endormie à la pause - et ne se réveille plus. Mes travailleurs
dorment, qui derrière une meule, qui sur la berge du ruisseau, d'autres au
soleil. Eh bien, mes enfants ? Allons, voyons, allons ! Rien. J'objurgue, en
vain, une léthargique escouade. Une voix dans ma chambre : "Madame
n'oublie pas que le docteur a dit..." Qu'est-ce qu'il a dit, le docteur,
cette lourde créature bien intentionnée qui porte des souliers de cuir, un vêtement
rude au toucher ? Il sème des paroles consistantes comme "récupération,
nutrition, aliment complet, toniques", etc., etc. Depuis bien longtemps,
il me semble, j'ai opté pour un monde qui s'alimente de crème de riz,
d'orgeat chaud, de granules argentés, où l'on est vêtu d'angéliques
chemises de soie, de laines douces, couleur de rose. Le jour et la nuit, très
longs, naissent et meurent sur le coin de mon lit, déposant, près des douze
tulipes aux têtes chavirées, les journaux de l'aube et les journaux du
soir... À propos, et Vogue ? Un souffle a levé le rideau, et de la vitre
d'un taxi, qui tourne dans la rue Vivienne, ricoche jusqu'à moi une gifle de
soleil... Cela fait chanceler, cette rude main de maître, en pleine face...
Le voilà bien, le "tonique"... Aidons-le. Une gourde jumelée, en
vieux cristal verdâtre, contient encore du vin d'oranges qui a bien cinq ans
d'âge. Dans le fond d'un verre mince à hanche tordue - une coxalgie qui doit
remonter à Louis XIII - qu'on me verse un doigt de vin d'oranges ; n'ayez
crainte, je ne le boirai pas, c'est assez de le flairer. Les yeux fermés, le
nez ouvert, je relirai, pour Vogue, son histoire... Il date d'une année où
les oranges, du côté d'Hyères, furent belles et mûries au rouge. Dans
quatre litres de vin de Cavalaire, sec, jaune, je versai un litre d'Armagnac
fort honnête, et mes amis de se récrier : "Quel massacre ! une
eau-de-vie de si bon goût ! La sacrifier à un ratafia imbuvable !...
"Au milieu des cris, je coupai, je noyai quatre oranges coupées en
lames, un citron qui pendait, le moment d'avant, au bout de sa branche, un bâton
de vanille argenté comme un vieillard, six cents grammes de sucre de canne.
Un bocal ventru, bouché de liège et de linge, se chargea de la macération,
qui dura cinquante jours ; je n'eus plus qu'à filtrer et mettre en
bouteilles. Si c'est bon ? Rentrez seulement chez vous, Parisiennes, à la fin
d'un dur après-midi d'hiver ou de faux printemps, cinglé de pluie, de grêle,
fouetté de soleil pointu, frissonnez des épaules, mouchez-vous, tâtez votre
front, mirez votre langue, enfin geignez : "Je ne sais pas ce que j'ai...
"Je le sais, moi. Vous avez besoin d'un petit verre de vin d'oranges. »
(Sidonie Gabrielle Colette, 38°5)
« On voit, sur le visage d'un homme qui suit, du regard,
certains apprêts ménagers, surtout ceux d'un repas, une expression mêlée
de considération religieuse, d'ennui et de frayeur. L'homme craint le
balayage comme un chat, et le fourneau allumé, et l'eau savonneuse que pousse
un balai-brosse sur les dalles. Pour fêter un saint local qui commande
traditionnellement aux frairies, Segonzac, Carco, Régis Gignoux et Thérèse
Dorny devaient quitter les hauteurs d'une colline, et manger ici un déjeuner
méridional, salades, rascasse farcie et beignets d'aubergines, ordinaire que
je corsais de quelque oiseau rôti. Vial, qui habite à trois cents mètres
d'ici un dé peint en rose, n'était pas heureux ce matin, car le réchaud à
repasser, équipé en gril à braise, encombrait un coin de la terrasse, et
mon voisin se faisait petit comme un chien de chasse le jour d'une noce. - Ne
crois-tu pas, Vial, qu'ils aimeront ma sauce, avec les petits poulets ? Quatre
petits poulets fendus par moitié, frappés du plat de la hachette, salés,
poivrés, bénis d'huile pure, administrée avec un goupillon de pebreda dont
les foliotes et le goût restent sur la chair grillée ? Regarde-les, s'ils
ont bonne mine ? Vial les regardait, et moi aussi. Bonne mine... Un peu de
sang rose demeurait aux jointures rompues des poussins mutilés, plumés, et
on voyait la forme des ailes, la jeune écaille qui bottait les petites
pattes, heureuses ce matin encore de courir, de gratter... Pourquoi ne pas
faire cuire un enfant, aussi ? Ma tirade mourut et Vial ne dit mot. Je
soupirais en battant ma sauce acidulée, onctueuse, et tout à l'heure
pourtant l'odeur de la viande délicate, pleurant sur la braise, m'ouvrirait
tout grand l'estomac... Ce n'est pas aujourd'hui, mais c'est bientôt, je
pense, que je renoncerai à la chair des bêtes... -Serre-moi mon tablier,
Vial. Merci. L'an prochain... - Que ferez-vous l'an prochain ? - je serai végétarienne.
Trempe le bout de ton doigt dans ma sauce. Hein ? Cette sauce-là sur les
petits poulets tendres... N'empêche que... - pas cette année, j'ai trop faim
- n'empêche que je serai végétarienne. - Pourquoi ? - Ce serait long à
expliquer. Quand certain cannibalisme meurt, tous les autres déménagent
d'eux-mêmes, comme les puces d'un hérisson mort. Reverse-moi de l'huile,
doucement... Il pencha son torse nu, lustré de soleil et de sel, dont la peau
mire le jour. Selon qu'il bougeait, il était vert autour des reins, bleu sur
les épaules, à l'image des teinturiers de Fez. Quand je commanda
"stop", il coupa le fil d'huile dorée, se redressa, et je reposais
ma main un moment sur son poitrail, comme sur un cheval, flatteusement. Il
regarda ma main, qui annonce mon âge., - À la vérité, elle porte quelques
années de plus -, mais je ne retirai pas ma main. C'est une bonne petite
main, noircie, dont la peau devient assez large à présent autour des
phalanges et au revers de la paume. Elle a les ongles taillés ras, le pouce
retroussé volontiers en queue de scorpion, des cicatrices et des écorchures,
et je n'ai pas honte d'elle, au contraire. Deux ongles jolis, cadeau de ma mère
- trois pas très beaux, souvenir de mon père. »
(Sidonie Gabrielle Colette, La naissance du jour)
« La cendre... Beau mot pour commencer un article mortificatoire
! Que ne l'ai-je réservé pour mon article de carême ? Et pulverem
reverteris... C'est qu'à vous dire vrai, la cendre n'éveille en moi que de
gourmands souvenirs. Gens de la ville, quand je vous parle
cendre ", vous entendez "escarbilles", ou bien ce résidu
gris comme le fer, pesant comme lui, qu'on retire, à pleins seaux du calorifère,
de la salamandre, de la grille à coke. Je vous plains. La cendre, dans le
plus frais de mon souvenir, c'est... comment écrire ? C'est la fleur du feu,
sa blanche écume, son inséparable, son impondérable duvet, - c'est la
cendre de bois. Le feu de bois, le seul vrai feu, le feu sentimental,
romanesque, primitif, m'a tenue l'hiver au seuil de sa grotte, autrefois, tels
les poussins tardifs qu'on élevait sous le manteau de la cheminée. Grand feu
de bois, échevelé entre ses coussins de cendre légère, blanche et bleue et
voletante comme le chinchilla ! Pour le nourrir dignement, ma mère prélevait,
sur les abattages de ses fermes, l'orme, le hêtre, le bouleau, et les souches
du vieux bois fruitier les plus cornues, en forme de diables, de roches
caverneuses, de rhinocéros, à l'exclusion du chêne et du châtaignier... Ce
dernier mot évoque une des deux maximes d'éducation pratique qui ont régi
mon enfance : "Ne mange pas la bouche ouverte, et ne jette jamais dans la
cendre une épluchure de châtaigne ! " C'est que la cendre, fine
mouture, était promise à la lessive. Où vous a-t-on élevés pour que vous
ignoriez qu'une pelure de châtaigne, un brandon de chêne mal carbonisé,
peuvent tacher toute une lessive ? J'oublie que vous êtes, lecteurs, jeunes
et citadins, et que vous lessivez au savon... Dans ce temps lointain où
j'apprenais à respecter la cendre, couvrir le feu pour la nuit, réveiller le
lendemain matin son ardeur capitonnée de cendres, j'apprenais aussi que la
cendre de bois cuit, savoureusement, ce qu'on lui confie. La pomme, la poire,
logées dans un nid de cendre chaude, en sortent ridées, boucanées, mais
molles sous leur peau comme un ventre de taupe, et si "bonne femme"
que se fasse la pomme sur le fourneau de cuisine, elle reste loin de cette
confiture enfermée sous sa robe originelle, congestionnée de saveur, et qui
n'a exsudé - si vous savez vous y prendre ! - qu'un seul pleur de miel. Et je
ne parle pas seulement du turban de cendre rouge dont nous coiffions le
"four-de-campagne", merveilleux et simple appareil de cuivre où s'élaboraient,
feu dessus, feu dessous, les meilleurs plats du monde, ceux qui cuisent
longuement, étouffés, sans évaporation, repliés, si j'ose écrire, sur
eux-mêmes. Notre "four-de-campagne", ancien, façonné au marteau,
abritait de patientes daubes, des rouelles aux carottes et aux girolles, qui
ne perdaient rien de leur volume ni de leur jus. Dans la cendre seule, la
pomme de terre devient une farine de choix. Foin de la "patate"
gluante qui a pris en cuisant, même dans la vapeur, autant d'eau qu'une éponge
! Un chaudron à trois pieds, haut jambé, contenait une cendre tamisée, qui
ne "voyait" jamais le feu. Mais farci de pommes de terre qui
voisinaient sans se toucher, campé sur ses pattes noires, à même la braise,
le chaudron nous pondait des tubercules blancs comme neige, brûlants, écailleux,
auxquels un beurre froid et raide, salé, concassé en petits dés, donnait
tout leur prix. Trop chère pour nous, la truffe du Périgord cédait la
place, l'hiver, à la truffe de Puisaye qui est grise, à peu près insipide,
et dont le parfum abuse l'ignorant. Mais, grise ou noire, enfermez la truffe,
brossée, dans une papillote de papier huilé, glissez-la, au-devant du feu,
dans une taupinière de cendre très chaude. Égrenez, au sommet du tumulus
minuscule, de menues braises, - l'inspiration, la légèreté de main aidant,
vous exhumerez, une demi-heure plus tard, des truffes pour la croque au sel.
La betterave rouge peut profiter, après, du lit tout chaud, et embaumé par
la truffe. Vous l'arroserez, à peine salée, mieux poivrée, d'huile d'olive,
et vous l'accompagnerez d'un panache de céleri blanc. Et le vinaigre ?
Vinaigrez, si vous y tenez, mais recourez au vinaigre de vin, qui est doux. Je
connais des cheminées parisiennes où l'on brûle encore - c'est parure plutôt
que nécessité - des bûches imposantes. Mais j'y cherche en vain la cendre,
le talus, l'amphithéâtre de cendre qui fait majestueux le bûcher et chaude
la cheminée. Un esprit d'ignorance, de froide propreté commande qu'on vide
tous les matins la cheminée, comme si cendre, détritus, épluchures, étaient
un seul et même déchet. Un grand courant d'air circule autour du feu, dévore
le bois et chasse l'intimité, la rêverie, l'égale chaleur. Que je n'aime
pas ces maisons où l'on emporte la cendre à pelletées comme une incongruité
de chat ! Cuite, recuite, rougie vingt fois, remuée à la pincette, vannée
à la pelle, la cendre ne quittait l'âtre, dans le pays de mon enfance, que
pour descendre à la cave sèche et servir de linceul aux fromages, les
fromages plats et minces de l'Yonne et du Loiret, qui y passaient deux mois,
trois, parfois six mois. Ils en sortaient comme d'une catastrophe pompéienne,
quasi pétrifiés. Mais leur pulpe était devenue de cire transparente, jaune,
d'une homogénéité singulière, et d'un goût ami du vin rouge, de la noix
d'hiver et de la salade de pissenlit. J'ai gardé pour la fin la recette d'un
poulet à la cendre et à la glaise... Elle semble barbare. Elle rappelle
celle du poulet chinois, scellé dans la laque, sauf que le poulet à la
cendre demande qu'on l'englue, emplumé, dans l'argile lisse, la glaise des
sculpteurs. Il ne faut que le vider avec soin, le poivrer et le saler intérieurement.
Sa graisse, prisonnière, suffit à tout. La boule d'argile et son noyau
gallinacé subissent une crémation assez longue au sein d'une cendre épaisse,
de toutes parts entourée de braises qu'on attise, qu'on renouvelle. La molle
argile, au bout de trois quarts d'heure, est un œuf de terre cuite. Brisez-le
: toutes les pennes, une partie de la peau, restent attachées aux tessons, et
la perfection sauvage du tendre poulet vous incline vers une gourmandise un
peu brutale et préhistorique... »
(Sidonie Gabrielle Colette, Le feu sous la cendre)
« Naturellement, vous aimez la Provence. Mais quelle Provence ?
Il y en a plusieurs. Une est toute nue, à peine voilée d'un maillot de bain
à dessins cubistes, et noire d'un hâle étudié. Elle trône sur un
"planking" entre deux ou trois palaces et casinos. Celle-là, je la
salue à peine quand je la rencontre. Une autre perche sur de petits monts aérés,
secs, où tout est d'azur, le ciel, le silex pailleté, l'arbuste bleuâtre.
Il y a des morceaux de Provence gras, herbus, baignés de sources, de petites
Provences italiennes, même espagnoles ; une Provence - peut-être est-elle ma
préférée - maritime, pays de calanques d'un bleu qui n'est point suave mais
féroce, de petits ports huileux qu'on ne déchiffre qu'à travers une grille
de mâts et de cordages... Une Provence forestière resserre, sous la longue
ombre des pins parallèles, les parfums de la résine, et sous les chênes-lièges
crépus, écorchés vifs, erre un assez septentrional arôme de fougère, de
lichen ras, une fallacieuse annonce de truffe... La multitude des touristes désole,
chaque année, toutes les Provences. Optimiste, le touriste habite une villa,
dix mètres de sable et cent brasses de mer, et ne bouge guère. Il se rôtit
et mijote au bain-marie, alternativement. Pessimiste, il roule en auto, et
s'arrête pour boire, transpire, reroule et reboit. Il dit : "Ce pays
serait ravissant si on n'y avait pas si chaud et si la nourriture était
possible." Partout il réclame son bifteck aux pommes, tendre à point,
ses œufs au bacon, ses épinards en branche et son café "spécial".
Il fait observer que son estomac ne digère pas l'ail et que son médecin lui
interdit la cuisine à l'huile. Ce n'est certes pas pour la seule édification
de ce Viking, de cet Anglais, de ce Parigot, de ce Brandebourgeois, de ce
citoyen d'Amérique, de ce Genevois, de ce Balkanique, que je prônerai
l'excellence de quelque vieux plat provençal, les vertus de l'ail, la
transcendance de l'huile d'olive, et ma fidélité aux trois légumes inséparables,
vernissés, hauts en couleur comme en goût : l'aubergine, la tomate et le
poivron doux. En forêt du Dom, il est une auberge... Son renom se fait si
vite qu'il n'est pas besoin de la désigner plus clairement. Le lieu est beau,
en pleine forêt profonde, et la route romantique tourne à souhait pour
l'attaque des diligences... Les soirs d'été, deux, trois tables
rudimentaires, égaillées sous les acacias, attendent les amateurs de gibier,
et les friands du poisson que j'appelle "le poisson au coup de
pied". Est-ce une recette ? Non. Un accommodement culinaire primitif,
vieux comme l'olivier, comme la pêche au trident. Jamais cuisson n'a demandé
moins d'apprêts - il n'y faut que la manière. Ayez seulement.... une forêt
provençale, tout au moins méridionale. Fournissez-vous-y de bois choisi : bûches
cornues d'olivier, fagots de ciste, racines et branches de laurier, rondins de
pin pleurant la résine d'or, menue broussaille de térébinthe, d'amandier,
n'oubliez pas le sarment de vigne. À même la terre, entre quatre gros éclats
de granit, bâtissez, allumez le bûcher. Pendant qu'il flambe, rouge, blanc,
cerise, léché d'or et de bleu, il n'y a rien à faire que le regarder. Le
ciel vert du crépuscule provençal au-dessus de lui, tourne au bleu de lac.
Les flammes baissent, se couchent ; vous avez sous la main, n'est-ce pas, une
ou plusieurs belles pièces de poisson méditerranéen, tout vidé ? Vous avez
acquis à Saint-Tropez une rascasse monstrueuse, à gueule de dragon, ou vous
avez apporté de Toulon les malins mulets à dos noirs, et vous n'avez pas
omis, vidant ceux-ci ou celle-là, de glisser, tout le long de leur ventre
creux, un fuseau de lard ? Bon. Apprêtez votre balai, j'appelle ainsi ce
bouquet odorant de laurier, de menthe, de pebredaï, de thym, de romarin, de
sauge, que vous avez noué avant d'allumer votre feu. Apprêtez donc le balai,
c'est-à-dire qu'il trempe dans un pot empli de la meilleure huile d'olive mêlée
de vinaigre de vin - ici nous n'admettons que le vinaigre rose et doux. L'ail
- vous pensiez naïvement qu'on pouvait se passer de lui ? - pilé, jusqu'à
consistance de crème, rehausse le mélange comme il convient. Du sel, peu, du
poivre, assez. Attention. Votre feu n'est plus que braise bientôt. Un lit épais
de braise qui chante bas, des tisons qui flambent encore un peu ; une fumée
translucide, légère, porte à vos narines l'âme consumée de la forêt...
C'est le moment de donner le magistral coup de pied qui envoie, au loin, bûches,
brandons et fumerolles, qui découvre et nivelle le charbon ardent d'un rose
égal, met à nu le cœur pur du feu sur lequel halète un petit spectre igné,
bleuâtre, plus brûlant encore que lui. Un vieux gril, à trois pieds hauts,
salamandre tordue au service de la flamme, reçoit le poisson bénit de sauce,
et le tout se plante d'aplomb, en plein enfer. Là !... Vous n'en êtes pas
encore à la maîtrise de l'homme du Dom, l'homme de qui l'on ne voit que
l'ombre sur le feu. Le bras noir armé du balai aromatique, le bras noir sans
cesse humectant, aspergeant, retournant le poisson sur le gril, pendant...
Pendant combien de temps ? L'homme noir le sait. Il ne mesure rien, il ne
consulte pas de montre, il ne goûte pas, il sait. C'est affaire d'expérience,
de divination. – Prison et
paradis, ce n'est pas la peine de vous mêler de cuisine. Le "poisson au
coup de pied" saute de son vieux gril dans votre assiette. Vous verrez
qu'il est roide, vêtu d'une peau qui craque, s'exfolie et bâille sur une
chair blanche, ferme, dont la saveur se souvient de la mer et des baumes
sylvestres. La nuit résineuse descend, une lampe faible, sur la table, dénonce
la couleur de grenat du vin qui emplit votre verre... Marquez, d'une libation
reconnaissante, cet instant heureux. »
(Sidonie Gabrielle Colette, Le poisson au coup de pied – Prison
et paradis)
« On compte sur vous, dimanche prochain ? Dîner de famille,
mais on sait manger... je ne vous dis que ça... Une recette de ma grand-mère..."
Je ne lui ai pas demandé, à ce gastronome qui me quitte, qu'il m'en dise
davantage. C'était déjà, à mon goût, un peu trop. Ouvrez l'œil, quand un
de vos amis se découvre soudain une religion filiale. Méfiez-vous des aïeules
qui, modestes dans leur tombeau depuis un demi-siècle, prennent dans la salle
à manger une importance que rien, jusqu'alors, n'a fait prévoir, et
ressuscitent bizarrement autour d'un lièvre aux rutabagas. Vous aimez, vous,
le lièvre aux betteraves ? Vous prisez le brochet bourré de salsifis ? Et la
tarte au chocolat, secrètement imbibée de kirsch, vous la tolérez ? Que la
"tarte de tante Ludivine" aille aux gémonies, et foin de toute
"Mère" quand les "Mères" enfantent exclusivement des
recettes culinaires ! Beau pays de France, souriante patrie du bien-manger,
secoue, de ta robe, les faux affiquets provinciaux, ou bien tu risques de
ressembler un jour à ces personnes ravissantes qui vantent, sur nos murs, un
biscuit limousin qu'elles offrent en bonnet cauchois, en jupe provençale,
sans préjudice d'un fichu basque et d'un sourire de Paris ! Un exécrable
snobisme veut déguiser la gourmandise française en un culte que la mômerie
déshonore. A qui fera-t-on croire que le navarin ne se consomme que derrière
des rideaux de coton quadrillé rouge, et que le vin est meilleur dans un
pichet de faïence à devise ? Non, je ne suis pas bien assise sur un banc de
bois "façon rustique". Non, l'oignon haché, les "fines
herbes" et la julienne ne constituent pas une panacée, ni une base
alimentaire. Non, je n'admets pas qu'un verre de calvados, versé sur le bœuf
braisé dix minutes avant sa consommation mérite le nom de "recette régionale"
! Pas plus que ce fromage râpé, poivré, passé au four, qui sert à
masquer, indifféremment, les œufs au plat, le merlan, la tomate, les
nouilles, les épinards et cent autres petits plats qu'il banalise, qu'il empâte
et qu'il dépouille de leur originelle saveur. Et je me révolte également
contre le champignon de couche, créature insipide, née de l'ombre, couvée
par l'humidité. J'en ai assez qu'il baigne, haché, dans des sauces qu'il
allonge ; je lui interdis de prendre le pas sur la girolle, j'exige qu'il ne
contracte plus mariage avec la truffe, et je les consigne, - lui et sa digne
compagne, la crête-de-coq vendue en boîtes - à la porte de ma cuisine !
L'art culinaire français, le plus riche de tous, une équipe ignorante et prétentieuse
le veut enrichir encore. À l'époque justement où la décoration murale, le
meuble, - et la femme que j'oubliais ! - aspirent à une nudité singulière,
je dis singulière pour être polie, - le romantisme gonfle l'art de préparer
et de cuire les mets. On "charge", pour méduser d'admiration les
foules immigrantes d'étrangers. On passe la mesure, on disloque la ligne.
L'improvisateur s'installe aux fourneaux comme ailleurs. L'œil au ciel, et
non sur ses casseroles, il laisse tomber ici une pincée de curry, là une
cuillerée de cognac, et ailleurs pis encore : quelques gouttes de sauce
anglaise. Et je te farcis n'importe quoi de Dieu sait quelle farce ; et je
t'insinue une pécheresse essence, et je te salpiconne, et je te nappe, et même
je te chemise... Vieux mots, vocables classiques, rites dont abusent des prêtres
improvisés, nous voilà loin des discrètes combinaisons, lentes, réfléchies,
qui formèrent la gourmandise française, amoureuse de certaines
"symphonies de gueule" où l'harmonie prenait source et élan dans
une noble retenue. Sous l'auvent rustique des beaux bâtiments de ferme, au
creux des casseroles de cuivre ancien, martelées, s'embusquent des
"recettes maison" qu'il faudrait frapper d'interdit. Car elles
"brodent", si j'ose écrire, sur des articles de foi, tels que le bœuf
braisé, le gigot bretonne, le veau à la crème, les civets et les poulets
chasseur immémoriaux, codifiés, vénérés et simples. Car elles tendent, en
attirant l'attention sur un condiment, forçant une épice ou une garniture, -
à déséquilibrer de patients, de mystérieux édifices. Laquelle d'entre
vous se doute, lectrices, en savourant l'authentique "lièvre à la
royale", fondant, chaud à la bouche, que soixante - vous lisez bien
soixante - gousses d'ail ont coopéré à sa perfection ? Un lièvre à la
royale réussi n'a pas goût d'ail. Sacrifiées à une gloire collective, réduites
à une consomption sans seconde, les soixante gousses d'ail, méconnaissables,
sont pourtant présentes, indiscernables, cariatides qui soutiennent une flore
légère et grimpante d'épices potagères... Eussiez-vous imaginé, en
mangeant le ragoût de mouton ou le veau à la casserole, préparés par les
mains admirables d'Annie de Pène, que l'un et l'autre contenaient deux gros
morceaux de sucre ? Sûrement non. Annie de Pène chaque fois confiait à la
cocotte de fonte noire les deux cubes de sucre, presque en se cachant. -
Pourquoi deux morceaux de sucre, Annie ? Lui demandais-je. - Parce que ma mère
le faisait, répondait-elle. - Mais pourquoi sucrait-elle ces deux plats ? -
Et bien d'autres à cuisson longue. Parce que ma grand-mère n'y manquait
point. - Mais vous n'avez jamais essayé de supprimer le sucre ? Elle riait,
et secouait la tête négativement. - Comme on voit bien que vous n'avez pas
la foi, Colette... Je rapprocherai ce mot des répliques simples et quasi
mystiques de Mme Yvon, cordon-bleu de grande race. Un jour que j'avais mangé,
chez elle, un bœuf à
l'ancienne" qui comblait au moins trois sens sur cinq, - car outre sa
saveur sombre et veloutée, sa consistance mi-fondante, il brillait d'une
sauce caramelline, mordorée, cernée sur ses bords d'une graisse légère,
couleur d'or, - je m'écriai : - Madame Yvon, c'est un chef-d'œuvre ! Avec
quoi faites-vous ça ? - Avec du bœuf, répondit Mme Yvon. - Mon Dieu, je le
pense bien... Mais tout de même, il y a dans cet accommodement un mystère,
une magie... On doit pouvoir, à une merveille comme celle-là, donner un nom
?... - Bien sûr, répondit Mme Yvon. C'est du bœuf. Il ne faudrait, pour
maintenir, pour sauver et justifier l'orgueil gastronomique de France, que
quelque Mme Yvon. L'espèce en est rare, en ce temps qui fabrique de la soie
sans soie, de l'or sans or, de la perle sans huître, et Vénus sans chair...
»
(Sidonie Gabrielle Colette, Récriminations)
« Avec le vin, les palais se mouillent et les
langues se délient. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« On peut espérer que, lorsqu'ils seront les maîtres du monde,
les insectes se souviendront
avec reconnaissance que nous les avons plutôt bien nourris lors
de nos pique-niques. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Seul dans le domaine végétal, le vin permet à l'homme
de comprendre la véritable saveur de la terre. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
« Fêtons Noël comme il viendra, et ne ronchonnons pas.
L'essentiel est de le fêter.
Il y a fête et fête : celle-ci sera sans truffes et sans dinde.
Mais la « fête » est un état d'esprit plutôt qu'une frairie.
»
(Sidonie Gabrielle Colette – Belles Saisons, Noël)
« Dans peu d'instants le lait bouillant, le café noir, le
beurre reposé au fond du puits
rempliraient leur office de panacée. »
(Sidonie Gabrielle Colette, La Naissance du jour - 1928)
« Nous aimons, colons éparpillés sur la côte, les dîners
impromptus,
parce qu'ils nous réunissent pour une heure ou deux. »
(Sidonie Gabrielle Colette, La Naissance du jour - 1928)
« Ce qui sent comme ça c'est un fût plein, que le printemps
moisi dénature
et qui de vin tourne en vinaigre. »
(Sidonie Gabrielle Colette, L'Étoile Vesper - 1946)
« On peut espérer que, lorsqu'ils seront les maîtres du monde,
les insectes se souviendront
avec reconnaissance que nous les avons plutôt bien nourris lors
de nos pique-niques. »
« La femme est capable de tous les exercices de l'homme
sauf de faire pipi debout contre un mur. »
(Sidonie Gabrielle Colette)
Quel ancêtre me légua, à travers des parents si frugaux, cette
sorte de religion du lapin sauté, du gigot à l'ail, de l'œuf mollet au vin
rouge ... ?
(Sidonie Gabrielle Colette - La Maison de Claudine 1922)
Il y avait cette excellente friandise italienne qui consiste en
quelques grains de raisin muscat confits dans du vin liquoreux, ridés au
soleil, momifiés et capiteux, roulés dans des feuilles de vigne.
(Sidonie Gabrielle Colette - Flore et Pomone)
Colette
(1873-1954)
Un produit -
un lieu -
un temps pour tout.
"Le
vin sollicite en nous plusieurs sens : la vue, l'odorat, le goût. Il nous
permet de les exercer, de les affiner par l'effet de la succession des dégustations,
mettant en jeu également notre mémoire olfactive. Par les émotions qu'il
procure, sa flaveur inoubliable, son étiquette prestigieuse et rare, ou tout
simplement par l'instant mémorable qu'il accompagne, il inscrit en nous des
impressions colorées, odorantes, aromatiques et gustatives. Enfin, le vin est
partie prenante d'un "art de vivre gourmand" qui sait apprécier les
ressources de la nature."
Sidonie
Gabrielle Colette (1873 - 1954).
[
Anonymes
| Dictons | Proverbes
| Bible Coran Torah | Aphorismes
de Marc Escayrol | de
Abbé Pierre à Basselin | de
Baudelaire à Brillant | de Brillat-Savarin
à Chauvet ]
[
de
Chaval à Colette | de Colombo à
Despentes | de Desproges à Escayrol
| de Escoffier à Goethe | de
Goncourt à Ionesco | de Isfahani à
Leglise ]
[
de Le Gouic à Maugham | de Maupassant
à Onfray | de Orizet à Puisais
| de Queffelec à Saint-Amant |
de
Sainte-Beuve à Thurber | de Tibulle
à Zweig ]
© Philippe
Margot et Gilles GARRIGUES 1998-2013
Toute reproduction,
même partielle et quel qu'en soit le support, est interdite sans
autorisation préalable écrite des éditeurs du site.